LE TIGRE A DENTS DE SABRE
Le premier homme a dû courir par peur, pour fuir les animaux sauvages. Nous n’avons finalement pas beaucoup changé. Nous courons toujours pour fuir. Le tigre à dents de sabre s’est changé en stress. Il nous attend tous les jours dès le lever, posté devant l’entrée de notre caverne. Et nous sortons en courant, continuant de courir toute la journée, d’abri en abri, devinant sa présence quand nous ne le voyons pas franchement.
La psychologie va vous expliquer dans le détail pourquoi vous courez, cela remonte à votre enfance, aux parents de vos grands-parents et vous remonterez ainsi jusqu’à Adam et Ève pour vous apercevoir, sorti de thérapie, que vous avez toujours peur. Alors vous vous tournez vers le bien-être et le développement personnel qui vous font croire, pour l’un, qu’il faut « être bien » alors que la vie ne vous demande que d’être, tout simplement, et enfin l’autre, qui vous fait croire qu’il faut vous « développer personnellement » comme si vous n’étiez pas déjà complet, comme si l’Intelligence de la vie vous avait oublié.
Vous pouvez passer ainsi toute une vie à continuer de rêver, à fuir vos peurs, votre vie avec tout de même l’impression de faire des « progrès spirituels » quand vous vous tournez vers les méthodes et pratiques spirituelles qui vous font miroiter la libération.
Le tigre est toujours là, mais cette fois-ci vous avez, au choix: vos chaussures à coussin d’air, vos exercices de respiration qui vous permettent de courir plus longtemps sans fatigue, vos exercices de concentration qui vous permettent maintenant de ne plus trébucher durant la course, le yoga qui vous permet de vous plier en deux sous cette branche basse et ainsi de gagner du temps, appeler votre animal totem à la rescousse (pas de bol, c’est un élan, il faut encore courir), vos exercices de visualisation ou d’affirmation positive, mais quand vous visualisez derrière vous, le tigre est toujours là et il n’a rien de positif, contacter les anges, mais vous allez trop vite pour eux et leurs petites ailes, appeler le diable alors, ça tombe bien il est derrière vous, feuilleter vite fait des bouquins psy ou psi (spirituels), mais ça donne mal à la tête (déjà que vous avez mal aux jambes), prendre un billet pour l’inde, là où se trouve la vérité (vous en êtes certain), passant ainsi du sprinter au marathonien, etc.
Puis un jour vous en avez marre. Vous abandonnez. Un matin vous sortez de votre caverne comme chaque matin et le tigre évidemment est toujours là. Et vous vous tenez debout face à lui. Debout face à vos peurs. Et vous l’observez. Vous le regardez droit dans les yeux. Il a changé. Vous l’observez plus attentivement. Il n’est pas si gros que ça. Pas si méchant finalement. Votre vue se brouille, se réajuste, plus exactement, l’ex-tigre est à vos pieds, tout petit, il ronronne et se frotte à vous, c’est un chat. Il vous regarde et vous dit: « bon alors, tu viens jouer oui ou non, depuis le temps que je te cours après! » Alors vous tombez en méditation, naturellement, votre respiration se modifie, votre corps se détend puisque les tensions se sont dissipées, vous êtes totalement présent, vous réalisez que la vie est en vous et qu’elle vous attend pour jouer. La vie est en vous et autour de vous, vous aviez simplement oublié qui vous étiez. L’illusion, c’est chaque fois que vous vous identifiez à votre imagination. Un livre à la main, vous n’apprenez rien, vous ne trouvez que des confirmations. L’inde ? Pourquoi pas ? Ou plus loin encore ? La lune ou plus loin encore pourquoi pas ? Tout est en vous n’allez pas si loin.
Christophe Yann